19. Dez 2023

« Les jeunes femmes ne se sentent guère concernées »

Le secteur du bâtiment recherche désespérément du personnel. Or le potentiel des femmes reste largement inexploité. Comment les attirer davantage dans ce secteur? Et comment les garder? Trois femmes cadres livrent un aperçu de leurs expériences et de leurs stratégies.

Texte : Nicolas Gattlen

« Les femmes sont très sous-représentées dans le secteur du bâtiment, en particulier dans les postes de direction et dans l’artisanat », constate Bianca Schmidt. « Dans la planification, la situation est légèrement meilleure. » Directrice et propriétaire de l’entreprise de technique en bâtiment Schmidt AG à Lucerne, Bianca Schmidt est l’une des rares entrepreneuses de ce secteur. « C’est sûr, ça ne passe pas inaperçu, admet-elle, mais je pense que cette particularité joue en faveur de notre entreprise. C’est un signal qui permet d’attirer du personnel qualifié féminin et des apprenties. » L’entrepreneuse en est convaincue, les femmes tendent davantage à postuler dans des entreprises dirigées par une femme ou par un comité de direction mixte.

Bianca Schmidt


Bianca Schmidt, propriétaire et directrice de Schmidt AG : 

« La force musculaire ne devrait pas être un argument pour refuser une candidature féminine. Un homme non plus ne peut pas changer tout seul un chauffe-eau de 300 litres. Mais en équipe, c’est possible. »


Pas assez musclées ?

Les offres d’emploi de l’entreprise Schmidt AG ne recherchent pas explicitement du personnel féminin. Toutes les candidatures sont les bienvenues, selon sa directrice, qui se réjouit néanmoins quand des femmes souhaitent intégrer le secteur. Elle vient justement de recruter une cheffe de projet et une technicienne de service, ainsi qu’une jeune femme qui suit une formation d’installatrice sanitaire. « Le critère de la force musculaire ne devrait pas être un argument pour refuser une candidature féminine », déclare Bianca Schmidt. « Un homme non plus ne peut pas changer tout seul un chauffe-eau de 300 litres. Mais en équipe, c’est possible. Quand on fait preuve de volonté et de flexibilité, on trouve des solutions. » C’est également valable pour les horaires de travail. Schmidt AG propose des temps partiels et des modèles d’horaires flexibles, afin de pouvoir mieux concilier vie professionnelle et vie familiale. Bianca Schmidt veille en outre à ce que son entreprise entretienne une culture collaborative, dans laquelle les femmes se sentent à l’aise.

Ce n’est pas le cas partout. Petra Nöthiger, planificatrice en technique du bâtiment de formation, est aujourd’hui cheffe de projet dans le bureau d’ingénieurs Amstein + Walthert. Au cours de sa carrière, elle a souvent été confrontée à des situations de discrimination. Par exemple : « Pendant une réunion, on demande à la seule femme présente si elle peut s’occuper du procès-verbal. » Bien souvent, ces discriminations ne sont pas volontaires, selon elle. Beaucoup d’hommes ne sont simplement pas conscients des problèmes et des obstacles auxquels les femmes doivent faire face. C’est pourquoi elle demande aux responsables d’instaurer des mesures de sensibilisation et des formations, comme c’est le cas depuis longtemps dans les grandes entreprises technologiques et pharmaceutiques.


Petra Nöthiger, cheffe de projet au sein du bureau d’ingénieurs Amstein + Walthert : 

« En recourant à des formulations masculines et des images à connotation masculine, beaucoup d’entreprises et d’associations continuent de présenter leurs métiers comme des "métiers d’hommes" » et le travail comme un "travail d’hommes". »

Petra Nöthiger

Le pouvoir des images

Petra Nöthiger pointe aussi la communication externe, souvent source d’exclusion : en recourant à des tournures masculines et à des images à connotation masculine, beaucoup d’entreprises et d’associations continuent de présenter leurs métiers comme des « métiers d’hommes » et le travail comme un « travail d’hommes ». Les jeunes filles et les femmes ne se sentent ainsi guère concernées. Selon elle, il reste encore beaucoup à faire pour que le secteur du bâtiment séduise les jeunes filles. Cette année, par exemple, l’école professionnelle zurichoise Baugewerbliche Berufsschule a organisé pour la première fois une « journée de l’avenir » destinée aux filles.

Le pouvoir des images, Monika Zemp, directrice de l’entreprise de technique du bâtiment Hunziker Partner, en sait quelque chose : « Nous veillons à ce que la diversité de notre entreprise soit représentée dans chaque publication », précise-t-elle. « Nous montrons aussi volontairement des technologies et des outils innovants afin de susciter l’intérêt des jeunes femmes. »

Les avantages des équipes mixtes

Pour Monika Zemp, les femmes ne constituent pas juste de la main-d’œuvre supplémentaire pour le secteur : « Les équipes mixtes favorisent l’innovation et améliorent les prestations et la communication. » Sur les chantiers en particulier, une bonne communication stimule la motivation et améliore les prestations. Le ton souvent rude ne décourage d’ailleurs pas que les femmes, mais aussi les jeunes hommes.

L’entrepreneuse souligne en outre qu’il est urgent d’améliorer les conditions d’hygiène généralement insuffisantes. « Les responsables doivent veiller à ce que les chantiers soient équipés de toilettes propres. » Une étude récente du syndicat Unia vient confirmer ce constat : sur 300 femmes interrogées dans le secteur, 73 % considèrent que la propreté insuffisante des toilettes et l’absence d’eau courante et de poubelles pour les protections hygiéniques représentent un problème crucial.

Monika Zemp


Monika Zemp, directrice de Hunziker Partner AG :

« Les équipes mixtes favorisent l’innovation et améliorent les prestations et la communication. »


Des réseaux de femmes

Les toilettes sont également un sujet de discussion récurrent au sein du réseau « Handwerknetz ». Créé en 2022 à l’initiative de la jeune artisane Sandra Fischer et du Bureau de l’égalité du canton de Zurich, ce réseau offre la possibilité aux artisanes de la région Winterthour-Zurich de se rencontrer et d’échanger. « De nombreuses femmes rencontrent les mêmes problématiques dans leur environnement professionnel », explique Sandra Fischer. « Nous échangeons à ce sujet. Nous voulons montrer aux femmes qu’elles ne sont pas seules à y faire face et leur donner le courage de poursuivre dans leur métier. » Le réseau s’adresse également aux débutantes et aux jeunes filles qui envisagent un métier dans l’artisanat.

Les réseaux d’artisanes restent rares car les associations professionnelles n’en créent guère. Les planificatrices et ingénieures bénéficient d’une meilleure mise en réseau. La Société suisse des ingénieurs et architectes a mis en place dès 2004 un atelier de réflexion autour de la diversité et des questions de genre au travers du projet « Femme et SIA », lequel a débouché en 2014 sur la création d’un réseau composé de six groupes régionaux. Son objectif est « de susciter l’intérêt des filles pour les métiers techniques, de mettre en réseau les femmes actives et de faire évoluer les consciences au sein de la profession sur l’égalité entre hommes et femmes ». En Suisse centrale, le réseau « Netzwerk Baufrauen », né d’une initiative privée, encourage les échanges professionnels et personnels. Composé pour l’instant d’une majorité de planificatrices, il est néanmoins ouvert à toutes les femmes qui travaillent dans le bâtiment.

De l’importance des modèles

Monika Zemp estime qu’il est « important que les "femmes du bâtiment" échangent entre elles, et même au-delà de leur secteur ». Ces rencontres permettent de nouer des contacts, de faire connaissance avec des femmes inspirantes qui occupent des postes de direction et de se développer sur le plan personnel. « Par rapport aux hommes, les femmes se définissent en général moins, voire pas du tout, par leur statut professionnel », constate Monika Zemp. « Elles ont donc tendance à moins vouloir s’imposer pour les fonctions de direction. Nous avons en tout cas beaucoup de mal à pourvoir des postes de cadres avec des femmes et nous tentons de pousser les collaboratrices qualifiées vers le haut au moyen d’un entretien motivant. »

Réseaux et échanges de femmes


Le réseau femme et sia