24. Aug 2023

« Sans eux, nous ne pourrions pourvoir de nombreux postes »

En Suisse, depuis 2018, les personnes migrantes ont la possibilité d’effectuer un préapprentissage d’intégration, notamment dans le bâtiment. Dans ce secteur, ce modèle donne lieu à des expériences positives.

Texte: Fabrice Müller

Aala Eddin Kabani a fui la Syrie. Il s’est d’abord rendu en Jordanie. Puis, de là, il a gagné la Suisse en passant par la Turquie. Cet homme de 40 ans travaillait comme électricien de montage en Syrie. Mais son diplôme n’a pas été reconnu en Suisse. L’entreprise Nussbaumer Elektro AG, à Baar (ZG), lui a cependant offert l’opportunité d’effectuer une formation d’installateur électricien. « Cette période a été très intense », se souvient Aala Eddin Kabani. « Tout était nouveau pour moi, surtout la langue. » En revanche, l’aspect technique – des mathématiques à la physique en passant par l’électrotechnique – lui était déjà familier depuis sa formation en Syrie. « Grâce au soutien formidable de mon entreprise, j’ai réussi ma formation », se félicite l’artisan.

Alaa Eddin Kabani


Aala Eddin Kabbani, Syrien âgé de 40 ans, travaillait comme électricien de montage dans son pays d’origine, mais son diplôme n’a pas été reconnu en Suisse. Il a pu effectuer une formation d’installateur électricien dans l’entreprise Nussbaumer Elektro AG. 

Lutter contre la pénurie de main-d’œuvre

Propriétaire et directeur de l’entreprise H. Müller Elektro AG à Rotkreuz (ZG) et Nussbaumer Elektro AG à Baar (ZG), Roman Müller travaille avec des migrants depuis environ neuf ans. « Je souhaite donner à ces personnes une chance de s’insérer professionnellement et de se construire une existence chez nous », explique l’entrepreneur pour justifier son engagement. C’est également une manière de lutter contre la pénurie de personnel qualifié, qui touche aussi le secteur de l’électricité. Par le biais du préaprentissage d’intégration (PAI), l’entreprise a ainsi donné à de jeunes hommes venus de pays comme l’Érythrée ou l’Irak la possibilité de se former – après avoir effectué un test d’aptitude et un stage d’initiation.




Roman Müller, propriétaire de Müller Elektro AG et de Nussbaumer Elektro AG : « Je souhaite donner à ces personnes une chance de s’insérer professionnellement et de se construire une existence chez nous. »

Roman Müller

Préparer à une formation scolaire de base

L’objectif du programme PAI, d’une durée d’un an, est de transmettre à des personnes réfugiées ou immigrées, qui ne disposent pas d’un diplôme du niveau secondaire II, des compétences de base en vue d’une formation professionnelle initiale. Il s’agit ici de s’appuyer autant que possible sur les connaissances et les acquis antérieurs des personnes participantes. Le programme, qui a démarré en 2018 sous forme de projet pilote, sera pérennisé dès 2024.

À Schönenwerd (SO), l’entreprise Schenker Storen AG offre également depuis 2018 des places d’apprentissage à des migrantes et des migrants dans le cadre du programme PAI. « Nous sommes ouverts à ces personnes car, sans elles, nous ne pourrions plus pourvoir un grand nombre de nos postes », souligne Thomas Rykart, responsable de la formation chez Schenker Storen. L’entreprise leur donne la possibilité de se former comme praticiens en montage de stores AFP. Un jeune Afghan, par exemple, a bénéficié de cette opportunité. Après avoir commencé comme stagiaire, il a accompli avec succès son apprentissage AFP de monteur de stores. « Il était très motivé et avait des objectifs clairs », raconte Thomas Rykart. Âgé de 32 ans, ce jeune Afghan a ainsi investi deux années supplémentaires dans sa formation et obtenu son CFC de monteur de stores en juin 2023. Depuis, il travaille chez Schenker Storen.

« Idéalement, les entreprises qui souhaitent offrir un poste de PAI doivent disposer d’une expérience en tant qu’entreprise formatrice », indique Tsewang Tsering, coresponsable du projet PAI au Secrétariat d’État aux migrations (SEM). Mais d’autres entreprises adaptées peuvent également participer. L’important est d’assurer un bon accompagnement et un soutien au sein l’équipe. Pour les aspects administratifs, ainsi qu’en cas de questions ou de problèmes, l’entreprise bénéficie de l’aide d’un interlocuteur cantonal.

Une grande satisfaction

Du côté des entreprises, la demande est apparemment importante. En 2021/2022, 750 personnes ont été formées. Depuis le lancement du programme, plus de 3000 personnes ont effectué un PAI dans différents types de métiers. « D’après l’évaluation qui accompagne le programme, les entreprises se disent très satisfaites », se réjouit Tsewang Tsering. C’est ce que confirme Beat Waeber, directeur de RIEDO Clima AG, à Guin (FR) : « Nous faisons des expériences positives. Ces jeunes sont très motivés – pour eux, c’est une question de survie. De plus, ils se montrent très loyaux envers l’entreprise, qui représente un peu une famille pour eux. »

Beat Waeber


Beat Waeber, directeur de la société RIEDO Clima AG à Guin : « Les jeunes migrants sont très motivés – pour eux, c’est une question de survie. De plus, ils se montrent très loyaux envers l’entreprise, qui représente un peu une famille pour eux. »

Depuis des années, l’entreprise familiale, fondée en 1962, travaille régulièrement avec des personnes migrantes, que ce soit pour le préapprentissage ou pour des formations d’installateurs en chauffage ou en sanitaire, de constructeurs d’installations de ventilation ou de projeteurs en technique du bâtiment. Récemment, un jeune Érythréen a suivi une formation d’installateur sanitaire avant d’enchaîner un apprentissage de projeteur en technique du bâtiment. La moitié des neuf apprentis annuels de RIEDO Clima sont issus de l’immigration, précise Beat Waeber. « L’engagement en faveur des migrants fait partie des principes de notre entreprise. Parallèlement, nous contribuons ainsi à lutter contre la pénurie de personnel qualifié. »

Des progrès linguistiques rapides

Quels sont les défis auxquels les personnes participant au PAI se voient confrontées ? « En général, elles ont des connaissances linguistiques insuffisantes, surtout dans le domaine professionnel, ce qui peut entraîner au début des problèmes de communication », rapporte Sara De Ventura, coresponsable du projet PAI au SEM. C’est pourquoi la définition des exigences linguistiques peut varier selon les domaines professionnels. « La plupart font de gros progrès en l’espace d’un an, en particulier au niveau de la communication en entreprise et du vocabulaire lié au métier. »

Le programme PAI en bref

D’une durée d’un an, le préapprentissage d’intégration (PAI) a pour vocation la transmission de connaissances linguistiques et scolaires de base, de normes et de valeurs culturelles, de compétences transversales, de compétences et de connaissances professionnelles de base, ainsi que la possibilité d’offrir une expérience en entreprise dans le domaine professionnel souhaité. « Ces éléments permettent de dispenser aux participants une solide préparation pratique et scolaire en vue d’une formation professionnelle initiale », explique Tsewang Tsering, du secrétariat d’État aux migrations (SEM).

Le programme PAI est destiné aux réfugiés reconnus (permis B/F), aux personnes admises à titre provisoire, aux bénéficiaires du statut de protection S, ainsi qu’aux personnes ressortissantes de l’UE/AELE et d’États tiers. Les cantons (services cantonaux de la formation professionnelle) sont chargés de l’organisation et de la mise en œuvre du programme.

Quelle est la marche à suivre pour mon entreprise ?

La procédure se déroule généralement de la manière suivante : les entreprises intéressées s’adressent au service de la formation professionnelle de leur canton, qui leur fournit toutes les informations nécessaires concernant le PAI. L’entreprise s’inscrit ensuite auprès du service cantonal de la formation professionnelle. Le canton transmet les dossiers de candidature des personnes qui correspondent au domaine d’activité et remplissent les exigences requises (notamment niveau de langue A2, compétences de base). S’ensuivent des entretiens d’embauche ou des journées d’initiation dans les entreprises. Une fois que l’entreprise a choisi une candidate ou un candidat, le contrat de préapprentissage d’intégration est signé. Les personnes admises à titre provisoire et les réfugiés reconnus n’ont pas besoin de permis de travail. À la place, une simple déclaration gratuite de l’activité, effectuée au moyen d’un formulaire électronique, suffit. Le programme débute en général au mois d’août. Durant l’année, les entreprises sont accompagnées par le service cantonal de la formation professionnelle.